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Tremplin séquence de Pierre Robin

Association des patients et des parents d'enfant porteur d'une séquence de Pierre Robin isolée ou associée

Témoignage - Julie et Émilie

Nous habitons sur l’île de La Réunion et notre petite Émilie, deuxième enfant de notre famille, est née le 23 février 2021. Nous avons vécu une grossesse classique, hormis la présence importante de liquide amniotique qui n’a pas vraiment inquiété, et qui n’a eu pour seule conséquence d’avoir un très gros ventre durant toute la grossesse. « Vous attendez des jumeaux ? », nous demandait-on souvent …  

Émilie n’était pas pressée de sortir et est restée dans sa piscine personnelle jusqu’à mon déclenchement à 41 + 5 jours. Un beau bébé de 3kg850 qui fait le bonheur de ses parents dès son arrivée. Après une tentative de tétée de bienvenue ratée, nous remontons en chambre. Un début d’allaitement chaotique avec un bébé qui ne réclame jamais à manger. Malgré une grosse perte de poids et nos tentatives pour expliquer au corps médical qu’elle semble avoir faim et ne pas arriver à téter correctement (la tétée dure maximum 3 minutes), nous sortons de la maternité avec un retour précoce à domicile 2 jours après l’accouchement.  

Côté respiration, Émilie semble vraiment inconfortable sur le dos, elle hurle, se débat. Il est très tard dans la nuit, nous sommes fatigués et sans réfléchir des heures, nous la plaçons sur le ventre. Elle est beaucoup plus apaisée et s’endort, nous sommes donc persuadés à ce moment-là que nous avons fait un « bébé ventre » et que, comme on couchait les bébés d’une autre époque, Émilie ferait partie des bébés qui préfèrent dormir sur le ventre. Nous saurons plus tard qu’en réagissant ainsi, nous lui avons probablement sauvé la vie. Évidemment, nous cachions cette information aux médecins, après avoir eu une sacrée remontrance par le pédiatre qui suivait Émilie. Peu importe, notre décision était prise, nous mettrons notre fille dans la position qui semble lui convenir. Courageux ou inconscients, tout est une question de point de vue.  

Retour à la maison aurait dû rimer avec début du bonheur mais c’est devenu le début d’un long combat. Au bout d’une semaine sa perte de poids est telle que la sage-femme qui nous rend visite à domicile nous « menace » de demander une hospitalisation en néonatalogie. L’hôpital, la néonatalogie, ça fait peur pour de jeunes parents avec un si petit bébé. Pour lui faire prendre du poids, nous sommes obligés de la réveiller toutes les heures pour la nourrir à la pipette jour et nuit en plus de l’allaitement. Elle reprend légèrement du poids, nous sortons donc du viseur médical urgent. Avec du recul, nous aurions dû aller en néonatalogie à ce moment-là. 

Visite médicale du premier mois, très logiquement, Émilie n’a pas pris beaucoup de poids. On nous organise une rencontre avec une conseillère en lactation à l’hôpital. Dès les premières secondes, la sentence tombe  » Votre bébé ne sait pas téter, elle a un palais ogival et un léger rétrognatisme. Il faut rencontrer une orthophoniste et un gastro pédiatre ! ». Personne ne pose de diagnostic à ce moment-là, après plusieurs observations dubitatives, nous ressortons de l’hôpital avec pour consigne de compléter l’allaitement avec des biberons de lait enrichi. Facile à dire …  

Des dizaines de marques de biberons, tétines et de hurlements plus tard ; Émilie ne comprend pas ce qu’il faut faire avec cet objet en bouche. Nous assistons impuissants aux difficultés alimentaires de notre bébé. Je fabrique un biberon avec sa sucette ( bib’s ) car c’est le seul objet qu’elle accepte de mettre en bouche sans crier. Nous arrivons à la nourrir tant bien que mal en dormant, allongée, en faisant couler le lait en appuyant sur le biberon. Nous attenions difficilement les 300ml de lait par jour, quand normalement il en faudrait 500ml minimum.  

Des biberons interminables pour un résultat qui n’est pas vraiment satisfaisant. Émilie traverse toutes les courbes de poids en 6 mois. Pour pallier le manque de nourriture, Émilie dort énormément. Elle donne l’impression de se mettre en pause pour survivre.  

À 3 mois, nous commençons les « bouillies enrichies » pour donner des calories. L’alimentation est devenue notre activité principale avec notre fille. Notre bébé est devenu un être qu’il faut nourrir pour assurer sa croissance. 

Émilie a 4 mois, nous avons rencontré des dizaines de médecins dans 3 hôpitaux différents. Découvert une légère malformation cardiaque (un FOP), des reflux gastro-œsophagiens sous traitement, une audition qui pose question…  

Aucun médecin ne comprend pourquoi notre bébé n’arrive pas à téter correctement. Une des seules solutions que l’on nous propose est de  » placer notre fille en famille d’accueil le weekend pour nous soulager ». Vous imaginez bien le choc d’une telle proposition pour nous parents qui nous démenons au quotidien pour aider notre fille. Une errance médicale terriblement difficile psychologiquement pour nous parents ! Les médecins parlent « d’anorexie du nourrisson » d’une « petite mangeuse avec un trouble de l’oralité inexpliqué augmenté par des reflux ».  

Dans les hôpitaux de l’île, personne ne nous parle de la pose d’une sonde nasogastrique pour ne pas « aggraver le trouble de l’oralité » nous débutons alors un suivi orthophonique qui s’annonce long et difficile.  

À 11 mois, suite à une rencontre avec une généticienne, l’hypothèse d’une séquence de Pierre Robin est évoquée, sans certitude « car elle n’a pas de fente palatine ».  

À 15 mois, lors d’un voyage sur l’hexagone, nous demandons à l’équipe du centre SPRATON de Toulouse la possibilité d’avoir un rendez-vous pour confirmer ce diagnostic. Nous rencontrons alors une équipe de médecins extraordinaires qui pose enfin des mots sur les maux qui rythme notre vie depuis la naissance de notre fille. Un bébé avec un palais ogival, un léger rétrognatisme, une obstruction respiratoire nécessitant sa mise sur le ventre, accompagné d’un trouble de la succion évident cochent toutes les cases d’un bébé SPR.  

S’en suivent tous les rendez-vous classiques nécessaires pour diagnostiquer une SPR isolée, syndromique ou associée. L’hôpital est un peu devenu notre deuxième maison avec des allers – retours quotidiens.  

Nous nous sentons enfin entourés et compris par des professionnels compétents et spécialisés. Nous reprenons enfin confiance au monde médical qui nous a tant malmenés par manque de formation ou de recherche.  

Depuis sa naissance, les repas sont un calvaire pour elle et pour nous. Emilie se débat, recrache, hurle. Les fausses routes sont devenues son quotidien. La purée est difficile à avaler, il ne reste plus qu’une possibilité : la diversification alimentaire menée par l’enfant (DME). Guidés par l’orthophoniste, nous arrivons à la nourrir de quelques morceaux d’aliments mous qui glissent tout seul en avalant. Il en existe peu et nous sentons bien que personne (orthophoniste , diététicienne…) ne sait vraiment comment nous aider. Nous passons par toutes les étapes d’un enfant qui n’a pas assez d’apports journaliers : nourriture enrichie au maximum, compléments alimentaires hypercaloriques, malodextrine… et une hospitalisation dans un centre spécialisé sur l’alimentation pédiatrique (le centre Bousquairol de Toulouse), comme il en existe trop peu en France.  

À 17 mois, suite à une vidéofluoroscopie avec la phoniatre de l’équipe de Toulouse. Des images montrent enfin les problèmes (un défaut de contrôle et une insuffisance vélopharyngée) qui sont en partie la cause de ses difficultés alimentaires et fausses routes. Visuellement son palais est bien présent, mais dessous les muscles ne fonctionnent pas correctement. La partie psychologique et la peur d’avaler s’ajoutant probablement aux difficultés fonctionnelles.  

Notre cœur de parent est mis à mal ; entre soulagement d’avoir enfin une raison à blâmer et des difficultés sans solution car aucune opération n’est possible pour la soulager. Notre fille n’arrive pas à manger correctement mais nous ne pouvons pas agir réellement !  

À 22 mois, nous passons toujours nos journées à essayer de lui apporter le maximum de calories. Elle ne se nourrit que d’une dizaine d’aliments (Nutella, gourde de compote à l’huile, vache qui rit, Danette à la vanille, chantilly…). Nous sommes bien loin des recommandations alimentaires officielles. Comment accepter de voir son enfant se nourrir exclusivement d’aliments que l’on décrit comme mauvais pour la santé ? Nous n’avons pas trouvé la réponse.  

Nous sommes psychologiquement et physiquement épuisés. Ce combat alimentaire dure depuis trop longtemps. Les résultats ne sont pas vraiment satisfaisants. Les problèmes d’Emilie ne s’améliorent pas et on nous prévient qu’ils mettront probablement des années à se résorber (voire peut-être jamais). Les courbes de poids et taille ne suivent plus, sa croissance n’est plus assurée.  

À 23 mois, la pose d’une gastrostomie est faite d’un commun accord avec le corps médical Toulousain. C’est la meilleure des décisions que nous ayons pu prendre pour notre fille. Si nous devions revivre notre histoire, nous demanderions la pose de cette gastrostomie plus tôt. Aucun enfant et parent ne devrait supporter ce lourd quotidien alimentaire.  

Émilie a maintenant 2 ans et demi et ne se nourrit que de quelques bouchées « d’aliments copains » par jour, mais, avec plaisir et envie. Le trouble de l’oralité sévère est toujours bien présent mais grâce à la gastrostomie, sa croissance est assurée, nous lui apportons tout ce dont son corps a besoin.  

Elle a une rééducation importante pour l’oralité et le langage avec une orthophoniste, une psychomotricienne et une kiné maxillo-facial mais nous pouvons enfin dire que notre fille semble heureuse et avoir la vie d’une petite fille presque ordinaire (avec un petit bouton en plus !). Notre famille a retrouvé la paix et nous pouvons enfin profiter des plaisirs de la vie de famille simple.  

Son combat n’est pas terminé.  

Le prochain sera le sevrage de ce mode d’alimentation mais, ça, c’est une autre histoire ! Ce chapitre s’écrira quand notre petite guerrière et nous parents, seront prêts à le vivre.  

Notre parcours est singulier, il ne ressemble pas vraiment au parcours des enfants SPR diagnostiqués en anténatal ou à la naissance, mais, par mon témoignage, je veux mettre en lumière les enfants SPR avec un palais ogival (SANS fente) et surtout les difficultés alimentaires qu’ils peuvent rencontrer.  

Des difficultés que les médecins ne doivent pas négliger, car elles peuvent être très importantes et difficiles à vivre quotidiennement pour tout le monde.  

Si je peux donner seulement deux conseils :  

– La SPR sans fente avec un palais ogival est très rare (seulement 10% des SPR) et difficile à diagnostiquer pour les médecins qui sont peu nombreux à y penser. Il existe des centres de référence SPRATON partout en France. Si vous avez le moindre doute pour votre enfant, c’est dans ces centres qu’il faut aller ! Ce sont les professionnels les mieux formés pour diagnostiquer et aider votre enfant.  

–  Ne restez pas sans parler. L’association TREMPLIN, les centres, les psychologues existent. D’autres parents sont passés par les mêmes difficultés que vous rencontrez. L’impuissance, la culpabilité et la maladie sont difficiles à vivre. Ensemble nous sommes plus forts. Si vous n’avez plus d’idées, d’autres personnes en ont peut-être. Il ne faut pas hésiter à frapper à la porte …  

Je terminerai simplement en disant à tous les parents d’un futur bébé SPR de ne pas avoir peur et de vous faire confiance. Votre bébé est un guerrier. Il se battra avec beaucoup plus de force que nous n’en aurions à sa place.  

Vous êtes les meilleurs parents pour votre bébé, vous le connaissez mieux que personne, faites confiance à votre instinct.  

Visuel Julie et Emilie